Dialoguer c'est sacré ? Une tentative pour explorer et pour vivre consciemment et concrètement cet idéal dans une communauté d'esprits libres - Version 2
Le présent texte est une retranscription écrite de l’enregistrement d’un échange entre deux anthroposophes, le 1er janvier 2016. Cette retranscription n’est pas parfaitement fidèle aux mots qui ont été prononcés : le style, notamment, a été quelque peu retravaillé pour en faciliter la lecture et la compréhension. Néanmoins, nous avons conservé l’essentiel de l’échange, y compris jusque dans maints aspects de sa forme, en vue notamment d’en reproduire le caractère vivant. Il nous semble que bien des aspects de ces échanges constituent un « joyau » pour susciter le développement de communautés d’esprits libres, aussi bien en dedans ou en dehors de cercles anthroposophiques. Cette retranscription n’ayant pas été relue et corrigée par tous les intervenants, leurs noms ne sont pas mentionnés ci-dessous (anonymat).
Nous appellerons le premier intervenant ADB et le second PA. Le présent article est une version légèrement remaniée (le 26/03/17) de l'article originellement publié sous le titre Dialogues anthroposophiques 1. La place de l’individualité et de la communauté dans la vie humaine. L’écoute comme acte sacré et sa relation avec le «culte inversé».
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Première question: comment compenser la tendance à l’atomisation et à la division, qui résulte de l’activité pensante individuelle au sein des communautés humaines ?
ADB : Voici une question que je souhaiterais te soumettre, au sujet de la place de l’individu au sein de la vie communautaire, aussi bien de manière générale, qu’en particulier au sein de cercles cultivant la science de l’esprit de Rudolf Steiner.
Dit en bien trop résumé: on peut affirmer que le développement de la pensée individuelle tend à produire l’atomisation au sein des communautés, à les désagréger, du fait des opinions, interprétations et pensées divergentes, qui opposent les uns aux autres, y compris dans des communautés humaines qui visent à développer la connaissance du spirituel, alors même que leurs membres veulent vivre intensément l’expérience de la fraternité. Ceci apparaît aussi dans les communautés religieuses, lorsque le contenu pensé, conceptuel de la religion, prend une place importante : au sein du christianisme, par exemple, de nombreuses scissions et même des schismes, sont le résultat à l’origine, de disputes, de conflits d’opinion et d’interprétation.
Dans les communautés religieuses, il existe un contrepoids puissant à la division et à l’atomisation, explique Rudolf Steiner (dans le remarquable cycle de conférence « Éveil au contact du moi d’autrui » - GA257 [1]) : le culte. Là où le culte est prépondérant, la communauté est aussi plus forte ; les divisions moins nombreuses et de moindre importance.
Au sein de cercles qui veulent cultiver la science de l’esprit d’orientation anthroposophique, et dès lors aussi développer le penser, qui est nécessairement une activité individuelle et libre, la tendance à l’atomisation et la désagrégation est inévitablement puissante. Dès lors, existe aussi l’exigence que soit cultivée une activité qui vient, pour ainsi dire, compenser la tendance à la division qui est produite par l’activité pensante individuelle. Sans quoi, la communauté est inexorablement condamnée à disparaître. Rudolf Steiner montre que l’activité compensatrice à mettre en œuvre au sein de cercles de personnes cultivant l’anthroposophie, n’est cependant pas du tout identique à celle de cultes, tels qu’ils sont pratiqués dans des communautés religieuses, par exemple.
Ces derniers reflètent, là où ils sont authentiques, sur le plan sensible, des processus qui se déroulent réellement dans le monde suprasensible ; en quelques sortes, le monde suprasensible « descend » et se manifeste dans le monde sensible grâce aux actes posés lors du culte. Le contenu sacré est donc offert par le monde suprasensible aux êtres humains, par l’intermédiation du culte. Dans des cercles d’êtres humains cultivant ensemble l’étude de la science de l’esprit, Rudolf Steiner mentionne qu’il s’agit, au contraire, d’élever le sensible jusqu’au suprasensible, en une sorte de « culte inversé ».
Or, ce que je comprends au sujet du penser pur, c’est que l’être humain qui le déploie ne manifeste déjà plus une activité qui sépare, qui divise, mais qu’il produit une activité qui peut unir les êtres humains, dans la mesure où ils partagent un même contenu conceptuel universel. Le penser pur contribue dès lors à la formation et non à la désagrégation de communautés. Comme je le comprends, il existe diverses formes et qualités d’activités pensantes, confondues sous des mots identiques. Par exemple, dans le cas de la pensée que Rudolf Steiner mentionne comme celle qui divise, qui désintègre les communautés, ne s’agit-il pas de la pensée représentative ? (à différencier dès lors du penser pur, qui ne divise pas, mais qui est formateur de communautés ?).
PA : Veux-tu dire : là où il y a cet effet antisocial cela serait une représentation ; là où il y a communion cela serait une pensée pure ?
ADB : Oui, c’est cela. Lorsqu’une personne se tient vraiment dans le penser pur, n’y a-t-il pas une véritable communion dans l’esprit, c’est-à-dire une « non séparation » entre les êtres humains ?
PA : Cela est une question justement. Je ne crois pas qu’on puisse le présupposer. Si tu fais la différence entre la pensée représentative, subjective comme étant antisociale, et la pensée pure qui est de nature sociale, il existe une certaine vérité dans le fait qu’une des deux pensées est beaucoup plus sociale que l’autre, dans la mesure où elle (la pensée pure) puise dans l’universalité objective des concepts. Donc dans ce sens la pensée pure a un impact social beaucoup plus important que la pensée représentative qui vit subjectivement dans l’ego d’une personne, qui ne fait pas vraiment l’effort d’aller dans l’universalité. Mais cela est plutôt relatif à leur contenu : l’une a un contenu subjectif, l’autre un contenu universel qui appartient au monde.
Mais je ne pense pas que même au niveau de la pensée pure l’effet antisocial disparaît et que quelqu’un qui pense, même s’il s’agit du niveau de la pensée pure, ne produit plus cet effet antisocial : dans le sens où on « endort » toujours le penser de l’autre quand on pense soimême et que quelqu’un nous écoute. Je ne pense pas que parce que l’on pense de manière pure, universelle, que ce processus est aboli. Je pense même qu’il ne doit pas être aboli mais que c’est même nécessaire qu’il continue à exister ce processus, à savoir que quand une personne pense l’autre est obligée de « s’endormir » pour recevoir son contenu.
C’est même un acte social de la part de celui qui est prêt à écouter, à « s’endormir » par rapport à son propre contenu de pensée pour recevoir le contenu de l’autre. Donc ce n’est pas comme si la pensée pure abolissait le problème et qu’on devient automatiquement social quand on exprime des pensées pures. Non, c’est aussi un acte antisocial quand quelqu’un exprime des pensées pures et que quelqu’un l’écoute, et que cette dernière personne crée un espace dans son propre esprit pour recevoir ce qu’exprime la personne qui pense ; c’est-à-dire que l’auditeur s’efface pour recevoir ce contenu, ce qui constitue par contre un acte social.
Dans ce sens-là, je me demande si le processus social n’a peut-être pas un aspect double. Le premier aspect c’est l’élément que tu as nommé d’abord : dans le contenu on arrête d’avoir toujours de simples opinions, des points de vue personnels et subjectifs, c’est-à-dire des représentations, et on se hisse au niveau des pensées pures qui sont vraiment des contenus universels, des universaux. Ce processus a certes un côté social… mais concerne plutôt l’universalité du monde. Mais par rapport aux êtres humains le problème n’est pas encore résolu !
À ce niveau, pour devenir social envers un autre être humain, ce n’est pas seulement en pensant de manière pure, mais c’est dans l’écoute de la pensée d’autrui que l’acte social va s’accomplir. Au lieu que je l’endorme avec mon propre penser, j’utilise mon penser pour écouter sa pensée, pour recevoir ses pensées comme si elles étaient les miennes. Ainsi c’est moi qui accepte de « me faire endormir » par la pensée de l’autre et activement me réveiller dans le contenu intuitif que l’autre me propose. À ce moment, je puis vaincre le côté antisocial de mon penser parce que au lieu d’endormir l’autre, je me laisse endormir ; à savoir qu’au lieu d’imposer mon propre contenu de penser, je laisse l’autre imposer son contenu de penser et j’utilise mon penser simplement pour reconstruire son penser à lui, dans son universalité ; et toute mon activité est dans la réception de son contenu.
Là j’entre dans un acte vraiment social. Ce qui me véhicule à travers ce que je perçois, via le « sens des pensées et des paroles », et aussi à travers le sens du « je »[3], ce qui me véhicule, cela devient l’élément sacré. C’est peut-être cet élément-là qui devient sacré : à savoir que je ne vais pas penser pour moimême. Ce qui devient sacré, c’est ce qui m’est offert par l’autre, comme étant constitué par ces éléments perceptibles-sensibles, via mon sens de la parole, mon sens du penser, mon sens du « je »[4]. Je vais pouvoir recevoir ce contenu et c’est peut-être en cela que constitue le culte (inversé), à savoir que ces éléments sensibles, je vais les pénétrer de mon propre penser… mais en réalité… c’est le penser de mon interlocuteur « qui parle », c’est l’activité de son esprit que je reçois et que je ressuscite en moi par le fait que je vais concentrer mes pensées exclusivement dans ses contenus, offerts par lui.
Cela devient sacré « d’intuiter »[5] uniquement ce que l’autre m’offre, sans déborder, sans penser à autre chose que ce qu’il m’offre. Et lui, il est obligé de poser ses contenus avec son penser. Même si c’est un penser pur, il les pose et dans ce sens-là, on ne peut pas éviter « l’antisocial », c’est-à-dire qu’il pose, et qu’il attend de moi que je m’efface… ou qu’il puisse m’endormir,… (c’est la même chose), pour que je puisse recevoir son contenu. Ce serait inévitable que quelqu’un qui veut poser quelque chose dans le monde, présuppose que l’autre puisse s’effacer un instant pour le recevoir. Et dans ce sens-là, il y a une imposition de son « je », ce qui est objectivement un acte que Rudolf Steiner appelle antisocial dans le sens où j’impose mon « je » et l’autre est obligé de s’effacer à ce moment-là[6].
Mais… je ne vois même pas que c’est souhaitable, d’éviter cela. La seule chose c’est que cela doit se passer dans une conversation où chacun est prêt à laisser l’autre poser son « je », ou le contenu de son « je » plus exactement, le contenu de ses pensées, dans mon être. Et celui qui est social, c’est toujours celui qui reçoit le contenu de l’autre, qui est prêt à le recevoir.
ADB : Et à ce niveau, il y a une activité sacrificielle en quelque sorte, puisqu’il sacrifie son propre contenu, sa propre activité à celle de l’autre. On peut parler d’une espèce de sacrifice.
PA : Et tout ce que l’autre peut faire, celui qui est antisocial, qui pose son penser à cet instant-là, (s’il voulait être tout à fait social à ce moment-là, il faudrait qu’il soit dans l’écoute),… mais tout ce qu’il peut faire à ce moment antisocial, ce moment égoïque, ce moment où il place son je, c’est d’essayer de formuler sa pensée de la manière la plus universelle pour que l’autre y ait accès, à travers l’universalité ; c’est-à-dire penser de la manière la plus pure possible, et, le présenter pédagogiquement, c’est-à-dire de manière à ce que l’autre, étant donné qui il est, puisse suivre et avoir accès à ce penser de la manière qui conviendrait le plus à cette personne qui écoute. Il existe de ce fait la possibilité de déployer une pédagogie dans la manière avec laquelle on expose sa pensée.
Donc de manière relative, il existe une possibilité de compenser le fait qu’on est en train de poser des contenus qui viennent de son propre je, de sa propre vision des choses. Mais l’acte vraiment social si on veut le voir, c’est dans l’écoute du contenu de l’autre, et dans la faculté de rendre ce contenu de l’autre aussi puissant que le mien… ou peut-être même plus. On va se concentrer et on va ériger ce contenu de manière plus objective qu’on ne le ferait pour soi-même ; on s’intéressera davantage aux lois objectives et au contenu du penser de l’autre tel que lui pense ; on mettra plus d’énergie là-dedans que dans ses propres pensées. Nous pourrions y voir un idéal. Cela c’est ce que Rudolf Steiner décrit comme le chemin de la pensée christique, « der Gedankenweg ». Là-dedans, on peut voir un élément rituel aussi.
ADB : À quel niveau ?
PA : Parce que cela peut devenir un vrai culte d’écouter ce que dit l’autre, ou un autre dans un groupe de personnes, et que l’on prend ce qu’il propose par sa pensée,… qu’on le prend comme quelque chose de sacré. Dans l’acte… on va se dévouer à cet élément là ; et on va essayer de se réunir dans ce contenu ; on va essayer de communier là-dedans en trouvant et en partageant l’élément universel qui s’y trouve. Les traces qu’il nous a laissées, par son penser et auxquelles on a accès par le sens du penser, le sens des paroles et le sens du « je », on peut le considérer maintenant comme étant l’élément sacré (et ce sont tout de même des éléments et des traces sensibles, ce sont encore des éléments qui sont à ressusciter, qui ne sont pas totalement spiritualisés, surtout pour moi (l’auditeur) qui reçoit).
Toutes les personnes qui veulent « communier » à travers ces éléments, vont essayer de communier non pas à travers le contenu des pensées pures universelles en soi du monde, de l’univers, mais à travers l’être humain qui les exprime. Donc telle qu’il les a vues, lui, mais qui ont un contenu universel tout de même. On va essayer de l’aider à trouver l’universalité dans ses propres pensées de telle façon à ce qu’il puisse les formuler, les exprimer de la manière la plus objective possible.
ADB : Il s’agit donc ici non seulement d’un acte d’amour par rapport au monde spirituel, tel qu’il peut se manifester dans les idées universelles, mais également un élément d’amour par rapport au « je », par rapport à l’être spirituel d’autrui.
PA : Et aussi par rapport au réel tel qu’il s’exprime . Et c’est pour cela que cet élément de la réalité qui est manifesté là, par l’autre « je », est très important pour la communion en question. Parce que sinon on aurait accès à l’idée en soi ; mais si cette idée en soi n’est pas accompagnée d’une réalité on n’a pas vraiment de communion. C’est pour cela qu'est formulée cette phrase de Steiner, selon laquelle la vraie communion n’est pas simplement l’idée. La citation exacte est formulée dans « Goethe le Galilée de la science du vivant »[7] : la perception de l’idée dans la réalité est la vraie communion de l’homme. Ce n’est pas la perception de l’idée qui est la vraie communion, c’est la perception de l’idée dans la réalité qui la vraie communion de l’homme. Donc là on a un élément de réalité qui est présent et qui donne la possibilité de cette communion.
ADB : Avec cette conception on est vraiment tout à fait en concordance avec ce qui est exprimé dans le cycle de conférence « Éveil au contact du Je d’autrui » (GA257), où Rudolf Steiner, avant même d’exprimer ce qu’est la nature du culte inversé, évoque le retournement de toute la façon de penser qui consiste en effet, que cela soit dans l’art, dans la science ou la religion, à se fonder sur ce que nous offre le monde sensible pour nous élever à l’expression de son contenu d’esprit : par exemple, dans le cas de la science, à travers l’observation du monde sensible, en penser et en saisir le contenu conceptuel ; à travers l’art, qui se manifeste dans le monde sensible, élever la manifestation de ce sensible jusqu’à ce qu'il soit semblable au spirituel (tenter même d'élever la manifestation sensible à un degré de perfection plus élevé encore que ce que la Nature elle-même est en mesure de produire) ; (…).
Fondamentalement il s’agit de « gestes » radicalement nouveaux. Ces idées, pendant des années, je crois que je ne les ai pas comprises, malgré tout le travail d’étude qui a été réalisé pendant les années 1990, y compris dans les séminaires que tu animais. Je ne dis pas que tu en étais responsable ! Mais moi, j’avais encore une conception de la communauté d’esprits libres (et de la communion entre esprits libres) comme existant réellement par le seul fait que chaque « je » peut penser un contenu de penser pur ; que chaque « je » peut « l’intuiter ».
Quand nous « intuitons » le même contenu de pensée pure, nous sommes de facto dans une forme de communion parce nous partageons à ce moment en commun exactement le même contenu. Je peux très bien me retrouver à cinq mille kilomètres, ne t’avoir jamais rencontré… et pourtant je puis accomplir là une communion, via un contenu objectif que je pense purement.
PA : C’est un aspect très important.
ADB : Toutefois je comprends maintenant que dans notre rencontre de ce jour, par exemple, il y a encore un autre degré qui est atteint. Si je te rencontre, soit physiquement, soit par écrit… peu importe : il y a un phénomène qui se manifeste aussi dans le monde sensible…
PA : … et qui est spiritualisé par le fait, que moi j’accepte non seulement le contenu universel du cosmos (en le pensant par moi-même), mais j’accepte d’essayer d’y arriver à travers un autre être humain, qui n’est pas moi. C’est très différent : Je risque de me perdre. Il y a aussi tout cet aspect qui consiste à renoncer à soi-même, à ses propres contenus, à sa propre communion avec le cosmos, à ce que l’on pourrait avoir simplement en pensant tout seul. Il s’agit maintenant de risquer de retrouver le cosmos à travers un autre être humain.
ADB : Tu évoquais, il y a deux jours encore, le fait que le « je » peut se perdre dans ce qui provient du contenu de l’autre… ; le « je » peut aussi dévier du fait que qu’il fait sien ce qui provient du contenu de l’autre…
PA : Ce risque existe dans un certain sens, mais en même temps si on essaie vraiment « d’intuiter » les contenus, on est protégé aussi. Mais cela ne veut pas dire que je ne dois quand même pas passer tout à fait à travers le néant. Je dois renoncer à mes propres pensées. Ce n’est peut-être pas dangereux dans le sens où celui qui va intuiter avec amour un autre contenu, il est protégé par cet acte même. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne repasse pas objectivement par un sacrifice de son être. Il est obligé d’anéantir les contenus de son propre penser, ou plus exactement de les oublier, de telle façon à ce qu’ils existent plus, pour entrer dans le penser de l’autre.
ADB : Admettons que je sois isolé physiquement de toi, et que j’accède à certains moments, par le penser pur, à des contenus universels : on peut forcément donc déjà parler d’une certaine communauté, avec tous ceux et celles qui établissent aussi ce lien avec le contenu objectif universel. Dans ce sens, j’accède dès lors déjà un certain degré de communion, qui est une réalité ; une réalité suprasensible ; qui est même une création, une autocréation de chaque je qui y prend part. Ensuite il y a encore ce degré supplémentaire de la communauté et de la communion, où non plus par moi, qui accède à ce contenu d’esprit par ma propre activité, mais via toi (un autre que moi), je puis par cet acte que tu as décrit, d’effacement de soi-même, atteindre ce contenu d’esprit. Je le fais dès lors via ton être à toi ? Dès lors, d’un côté il y a l’amour de la sagesse, de l’autre côté il y a l’amour…
PA : … de l’être humain qui la manifeste.
ADB : Dans le premier cas, il s’agit donc encore de la Philo Sophia.
PA : Exactement. C’est le Père, c’est le Cosmos, c’est la Philo Sophia, la sagesse objective avec laquelle on s’unit, dans cette communauté (cosmique en fait). Et dans l’autre cas, cet aspect est certes toujours présent en arrière-plan, mais cette fois il se manifeste à travers un autre être humain. On sacrifie ainsi son propre accès à la sagesse objective, pour la laisser d’abord renaître à travers un autre être humain, avant de la retrouver. Et c’est là qu’il peut y avoir un culte . Car il peut y avoir un groupe de personnes qui veulent se donner cet idéal-là. Et s’ils pratiquent cet idéal dans l’acte, cela devient un culte . S’ils se disent « nous voulons cela ; cela est sacré pour nous ». Cela veut dire que cet acte lui-même devient sacré. Si on le pratique plusieurs fois, si on le répète, cela devient une espèce de culte. Et en même temps c’est vraiment un culte qui laisse la liberté totale à l’être humain, puisque pour y participer, il faut que tu penses.
Non seulement il faut que tu penses aussi fortement que quand tu es libre et seul mais tu dois aussi penser maintenant dans les contenus de l’autre et ressusciter ses contenus à lui, et tout cela n’est possible que si tu « intuites » les contenus toi-même. Donc il s’agit vraiment de la participation à un culte, c’est-à-dire à une cérémonie d’écoute en quelque sorte. Seul peut y participer, celui qui fait cela totalement librement. L’intention du sacré n’est pas le sacré. Seul est décisive l’expérience réelle de la communion.
ADB : Et qu’en est-il de la dimension et de la conception suivantes : lorsque le culte inversé est manifesté, quelque chose serait-il offert au monde spirituel ? Est-ce sous-entendu que ce ne cela n’est pas le cas lorsque les personnes font un travail de penser, d’intuition, en étant séparées les unes des autres ? Serait-ce un peu comme si cette offrande ne pouvait exister que si plusieurs posent cet acte cultuel, « sacrificiel », ensemble ? (…)
PA : (…) Je suis pas tout à fait sûr d’avoir compris la question exacte. Je comprends qu’il y ait un élément par rapport au monde spirituel : qu’est-ce qu’on leur offre ?
ADB : La question serait : est-ce que cela existe vraiment ?
PA : Qu’on leur offre quelque chose ?
ADB : Oui, et qu’est-ce que l’on offre qui est différent, qui est spécifique ? Je dirais même qu’habituellement on ne leur offre rien !
PA : Ou qu’est ce qui est différent de ce que l’on offre dans un culte normal.
ADB : Sous un certain angle, Rudolf Steiner insistait surtout sur ce qui est reçu par L’Humanité dans le culte normal, bien que par ailleurs il y aussi une offrande qui soit réalisée, ne serait-ce que par le fait que l’être humain est actif dans le culte. Dans le culte normal il y a donc en effet aussi quelque chose que l’on offre.
PA : Dans la religion du passé, c’est surtout ce que l’on reçoit qui importe, tandis que dans le cas présent on offre quelque chose activement. Sur un plan tout à fait ésotérique, il est connu que ce qui est le contenu de nos propres pensées au cours d’une existence, lorsque nous franchissons le seuil de la mort par exemple, est intégré à l’éther universel. Il existe aussi différentes qualités de contenus pensés qui ont plus ou moins de valeur pour le monde suprasensible.
Même dans le courant de notre sommeil, nos pensées sont accueillies, recueillies, par des êtres du monde suprasensible (y compris des âmes de défunts). Donc la nature de ce qui est pensé par l’être humain n’est pas indifférente pour le monde suprasensible. Néanmoins, cette activité pensante, je puis la produire en étant seul (cela se produit même en dehors de l’existence d’une communauté).
PA : En plus, ce sont des choses qui se passent une fois que l’on a quitté son corps physique, soit par le sommeil, soit par la mort. Elles sont le fruit de processus qui se déroulent naturellement, après l’acte, tandis que ce qui est intéressant dans ce qui nous occupe, c’est la présence réelle, au moment où on le fait .
ADB : Exactement. Selon mon souvenir, Rudolf Steiner évoque au sujet du culte inversé un point d’une très grande importance : ce qui se produit dans la vie du sentiment. Si tout d’abord il existe par exemple dans un groupe d’étude, une certaine activité du penser, il s’agit que s’éveille aussi quelque chose qui est de l’ordre de la flamme dans le sentiment, de l’enthousiasme en lien avec l’activité du penser…
Ce sont des éléments qu’il mentionne comme constitutifs d’une certaine atmosphère qui est essentielle (notamment pour compenser ce qui est de l’ordre de l’élément antisocial, qui atomise la vie sociale, du fait de la seule activité intellectuelle). Il s’agit que cette atmosphère se développe parallèlement à une métamorphose de la vie du sentiment. Alors l’activité psycho-spirituelle de l’être humain devient plus réelle ; les êtres humains pénètrent de ce fait jusque dans certaines sphères des mondes suprasensibles.
J’éprouve malheureusement des difficultés à exprimer clairement ces notions qui concernent le « culte inversé… ». Ne serait-ce déjà par ce que tu avais exprimé précédemment au sujet de ce qui est de l’ordre du sacré, par le fait d’avoir cette conscience-là du sacré, s’opère une action dans la sphère du sentiment… : Je rencontre un « je ». Je rencontre un être dont j’ai conscience qu’il manifeste une activité spirituelle de nature divine. Je rencontre déjà quelque chose de l’ordre du divin dans l’activité du « je » d’autrui. Là il y a existence d’un élément sacré. Ne serait-ce que par le fait que j’ai cette conception, mon attitude et l’atmosphère spirituelle sont modifiées en profondeur.
PA : Il faut toutefois la PRATIQUER dans le rituel ; la FAIRE, l’ACCOMPLIR, cette écoute. Parce que sinon cela demeure comme une sorte d’idéal moral: « on va écouter les gens, et on va trouver le moi d’autrui », et toutes ces choses-là ; à nouveau comme des préceptes, des sortes de visées morales qu’on se donne… Il s’agit de simples intentions. Or, il faut que cette écoute se fasse, que ce processus fructifie jusqu’au point où on trouve les intuitions ensemble dans un groupe, qu’on arrive à « intuiter » à travers un être qui s’exprime, qu’on entre dans sa pensée et qu’on découvre cette communion ; et c’est cela qui va donner le sacré. Ce n’est pas l’intention au début. Cette intention, il est vrai, c’est l’attitude religieuse qui pourrait exister avant la cérémonie.
Mais ce qui va nourrir, c’est le fait de réaliser vraiment cette écoute, de voir comment le processus fructifie, voir comment on peut trouver l’universalité à travers l’autre, comment on peut arriver à des communions dans le penser. C’est là que « la philosophie de la liberté »[8], réellement, permet de travailler ce terrain, et de trouver cette communion ; de le vivre vraiment. Et à ce moment-là est donné ce sentiment d’enthousiasme… que l’on est dans un processus concret de communion et que c’est une réalité. Ce n’est pas juste un idéal : « on va viser l’écoute des autres ; on va essayer de sentir que c’est sacré ». Beaucoup de gens ont cet idéal : « je rencontre un être humain et j’essaye de toujours penser que c’est sacré ».
Mais c’est faible, si on n'a pas d’expérience réelle de la communion spirituelle. Vraiment. Cela ne demeure qu’une bonne intention. La première expérience de communion spirituelle réelle, c’est dans cette écoute des pensées de l’autre et en essayant de les élaborer ensemble,… et en perçant dans l’universel à travers ce contenu. Cet acte permet que l’intention devienne une réalité. On voit et on vit que ce processus aboutit à cette communion. Et ce constat donne l’enthousiasme.
ADB : Ceci présuppose que l’intention existe quand même initialement, même si elle n’est pas déjà devenue réalité. Si cette intention n’existe pas, cela va être difficile, voire impossible, de faire expérience de la communion spirituelle réelle. Ce qui pourrait être une source de très grande déception, c’est lorsque cette intention existe mais que la communion ne se produit pas. Sur le terrain, on arrivera peut-être plus ou moins souvent à produire l’inverse d’une communion ! Mais il était tout de même nécessaire que l’intention existe pour que l’acte (de communion) s’accomplisse.
PA : Bien sûr, il faut commencer par un côté ou l’autre… mais la chose décisive sera dans l’expérience. C’est-à-dire qu’on puisse participer à un tel groupe et que l’on constate que cela marche. C’est cela qui va être décisif. Et que l’on cherche et apprécie ce genre de communion. Qu’on le veuille. C’est cela qui va être décisif. Et les personnes qui n’ont pas même eu cette intention, qui ne se rendent pas compte encore à quel point cela peut être sacré, d’être à l’écoute de cette manière-là, elles n’ont pas un idéal sentimental qu’elles ont entendu quelque part.
Mais il arrive qu’elles entrent dans une telle communauté et ne se s’en sont pas rendu compte. Elles vivent leur propre travail ; Elles constatent comment elles s’écoutent ; elles constatent comment elles arrivent à entrer vraiment dans la pensée des autres et elles vivent une communion, réelle. Cela les enthousiasme et leur donne envie de le pratiquer comme quelque chose de sacré, sans même le dire, sans même devenir conscients que c’est ce qu’elles visent, que c’est un acte religieux, mais elles vivent là-dedans parce qu’elles sont entraînées par l’expérience de communion. Ceci est beaucoup plus nourrissant que toutes sortes d’idéaux : « on va considérer à partir de maintenant les réunions avec des autres comme sacrées, comme… etc. etc. » C’est l’expérience réelle de la communion qui sera décisive. Même pas les intentions aussi sacrées qu’elle semblaient l’être. C’est l’expérience réelle qui nourrit, qui est décisive.
ADB : L’expérience réelle qui se manifestera parfois comme une espèce de floraison. Elle est parfois présente, parfois pas.
PA : Tout à fait. La communauté peut-elle être permanente ?
ADB : Une personne m’a dit : cette expérience de floraison c’est quelque chose que j’ai rencontré des centaines de fois dans de nombreux groupes. Ce qui importe selon cette personne, c’est qu’il faut atteindre quelque chose de permanent. Quelque chose de permanent comme attitude, comme un état d’être… Je n’ai peut-être pas entièrement compris ce que voulait dire cette personne. Elle disait aussi que cet état de floraison, c’est un peu comme une grâce qui est donnée, mais ce n’est pas suffisant. L’enjeu fondamental consiste à développer un tel degré de faculté, de développement d’une certaine attitude, au sein de communautés, de telle sorte que l’on a pas seulement à faire à des floraisons momentanées, mais de telle sorte que l’on puisse s’appuyer sur un élément sur lequel on puisse « compter en permanence » (un peu comme à un autre niveau, on constate le fait, que pour nombre d’êtres humains, c’est devenu une disposition permanente de ne pas frapper, violer… d’autres êtres humains).
PA : Même dans le cas d’une faculté sur laquelle on peut en effet compter de manière permanente, celle-ci n’est pas exercée en permanence. Une faculté est toujours là qui permet de puiser dedans. C’est là qu’existe l’élément plus permanent qui permet de construire quelque chose, plutôt que seulement des instants. Tout à fait d’accord.
ADB : Si cette permanence est conçue en termes de faculté, je comprends le concept. Par exemple, pendant que l’on dort, pendant la nuit, on ne peut pas être dans l’exercice effectif de cette faculté. Si j’ai bon souvenir, il était aussi question dans les propos que j’ai entendus, d’une forme de présence de la communauté en permanence, à tout moment de la journée, par exemple. Ceci est-il simplement possible ?
PA : Cela me semble un peu abstrait de penser comme cela. Parce que concrètement si on parle de communauté c’est quand on est avec les autres. Maintenant, comment peut-on être concrètement avec les autres ? C’est par des actes : par exemple, divers actes dans le monde physique. (…) Quand on n’est pas avec les autres physiquement, il y a peut-être une manière de les porter : par la pensée, par toutes sortes d’attitudes intérieures. À ce moment-là, il s’agit d’actes plutôt dans le domaine astral, le domaine de l’âme. Il s’agit d’un autre genre de communauté.
Mais quoi qu’il en soit, cela doit toujours être malgré tout sur les actes, intérieurs ou extérieurs, que s’établit la communauté. Et à ce moment-là une sorte de communauté est peut-être possible : un acte social en lien avec d’autres êtres humains… mais on ne peut pas toujours les avoir tous en conscience en même temps ; dans la réalité on est obligé de construire des actes précis tout le temps. Donc je crois qu’il faut arrêter de généraliser : « il faut être conscient tout le temps ; il faut être social tout le temps ». C’est du concret qui permet de déterminer dans quel contexte on peut être telle ou tel chose. Dans tel ou tel contexte, un acte antisocial (apparemment) peut avoir plus de sens qu’un autre acte. Un acte dans lequel on impose quelque chose anti-socialement peut être nécessaire dans un certain contexte.
Dans le long terme un tel acte aura peut-être un aspect social. Ceci est tout à fait possible. Donc c’est concrètement les liens réels possibles qui permettent de déterminer de quel genre de communauté on parle. On parle de « permanences » qui n’existent pas au niveau d’actes sociaux réels. C’est toujours le réel qui importe. Forcément, puisqu’il s’agit d’actes, c’est de la nature de quelque chose qui commence et qui s’arrête. La communauté d’esprits libres vécue à travers des contenus ésotériques
Le cas spécifique de la Classe
ADB : Est-il envisageable d’accéder à cette « communion libre et universelle » à laquelle il a été fait référence ci-avant, lorsqu’il s’agit de contenus ésotériques exprimés par une autre personne ? Est-ce bien de même nature ? Quoique, lorsque j’y pense, c’est ce que nous faisons quand nous prenons connaissance de ce qu’exprime Rudolf Steiner.
PA : C’est la même chose.
ADB : Cela signifie donc qu’un cercle de personnes peut travailler sur un contenu ésotérique, pour accéder à cette expérience de la communion spirituelle réelle, d’où peut naître de l’enthousiasme. Dans des groupes qui débutent l’étude de l’anthroposophie, cet élément d’enthousiasme peut être très présent et intense. Il est en quelques sortes un peu donné comme une grâce, surtout si les contenus sont pensés, avec grande clarté et intensité, avec une véritable qualité du penser. Au contraire, si les pensées sont nébuleuses, si des représentations subjectives s’en mêlent, voire des « contre-images », etc. plutôt que de l’enthousiasme, c’est du dégoût qui peut être éprouvé et naître dans de tels « groupes d’étude ». En est-il donc bien ainsi selon toi que le travail sur un contenu ésotérique puisse aboutir à cette expérience de communion spirituelle ?
PA : La question essentielle est toujours : quelle est la participation des individus au contenu ? Il est clair que les contenus ésotériques ne proviennent pas de nous, commun des mortels. Ce qui les rend ésotérique, dans le sens que tu évoques, c’est le fait que c’est un Initié qui les propose. Ils ne trouvent pas leur origine dans la conscience ordinaire, c’est-à-dire celle où un être humain manifeste par l’activité de son esprit, sa pensée d’une façon « habituelle », telle que le permet la conscience actuelle de la plupart des êtres humains. Les contenus ésotériques sont des pensées spécifiques… peut-être même des images…
ADB : Rudolf Steiner le dit lui-même : bien qu’exprimées au travers de mots et de concepts, bien souvent le contenu exprimé est constitué d’Imaginations (et dès lors, il est entendu qu’elles sont communiquées par un Initié).
PA : Ici encore nous avons à faire au même phénomène : faire taire ses propres représentations, pour recevoir ce contenu d’un autre être. S’il ne s’agit pas d’un contenu conceptuel pur, cela signifie qu’il est nécessaire de faire confiance à ce contenu d’images (Imaginations) ; car en tant qu’images, ce contenu est d’une certaine manière agissant. Pour agir de manière juste, ces Imaginations d’un Initié, il faut qu’elles œuvrent à travers la pensée pure. Il faut qu’on les construise soi-même, que l’on mette en œuvre le travail mentionné précédemment. (note : c’est-à-dire, notamment : « au lieu d’imposer mon propre contenu de penser, je laisse l’autre imposer son contenu de penser et j’utilise mon penser simplement pour reconstruire son penser à lui, dans son universalité ; et toute mon activité est dans la réception de son contenu »). Ensuite on ajoute aussi à ce contenu pensé, un élément de la nature des images, de façon à ressentir aussi ce contenu, qui présente, lui aussi, un aspect sacré.
ADB : Il s’agit dès lors d’appréhender ces Imaginations aussi au travers de pensées pures et…
PA : Et normalement, ces pensées pures sont les contours dont nous avons parlé au début, dans la situation où n’importe quel être humain peut poser et proposer une pensée ; ces contours, le contenu concret que l’autre offre, me sont cette fois-ci donnés par l’Initié. Il s’agit d’avoir le même respect visant à faire place en soi au contenu provenant d’un autre que soi ; que l’on veuille recevoir ce contenu comme il est, et non pas comme on le déforme avec ses propres représentations ; dans le cas du contenu exprimé par l’Initié, il s’agit sans doute de le recevoir encore avec davantage « d’attitude du sacré ». Et c’est la raison pour laquelle Rudolf Steiner dit que l’attitude qui concerne les contenus de la Classe (la classe de l’École Supérieure de Science de l’Esprit), c’est la lecture.
Il ne s’agit pas que les individus commencent à y associer leurs propres représentations ; à interpréter ses contenus ; à les banaliser. De même que l’on ne devrait déjà pas poser de tels actes au sujet de la pensée d’autrui, ainsi que nous l’avons déjà mentionné, c’est encore plus vrai avec ces contenus ésotériques : on ne devrait que les « restituer », dans le sens où on devrait les faire vivre selon ce qu’ils sont, selon leur propre nature. À ce moment-là, il est possible d’atteindre quelque chose de très similaire,… plus avancé même, que les pensées d’un être humain dont on dit : « elles sont sacrées ». Toutefois encore avec la différence suivante : dans un certain sens, c’est plus sacré d’accomplir un tel acte avec un être humain physiquement présent devant nous, car se pose tout le problème de son incarnation présente ; la nécessité de sublimer toutes ces manifestations sensibles de telle façon à traiter le contenu qu’il pose comme un contenu ésotérique et sacré. C’est un très grand défi de parvenir à réaliser cela.
ADB : Il s’agit d’un acte d’un degré « plus élevé » dès lors…
PA : Dans un certain sens seulement ! En effet, si on parvient à spiritualiser ce contenu, cela exige une force plus grande que celle qui est requise pour spiritualiser un contenu qui est déjà ésotérique. Le contenu « déjà ésotérique » constitue probablement le terrain sur lequel s’entraîner afin de pouvoir déployer cette activité de spiritualisation avec d’autres êtres humains complètement ; de telle façon qu’avec un être humain en chair et en os, nous puissions recevoir le contenu de son être comme un acte d’ordre sacré et ésotérique. Toutefois, dans un premier temps, nous pouvons nous entraîner à travers des contenus ésotériques, à développer cette attitude.
Alors que la Classe a été créée notamment pour que les personnes puissent apprendre à développer cette attitude, et qu’en outre les participants veulent ce développement, ils ne savent souvent pas comment faire avec ce contenu de la Classe. Ils cherchent malgré tout à entraîner les participants dans des interprétations, dans des sortes de subjectivations… d’en parler… d’échanger sur ces contenus. Dans le fond, ils savent qu’ils ne devraient pratiquer ainsi. Apparemment, ils ne connaissent pas trop ce qu’est se dévouer à un contenu de pensée, s’y adonner objectivement. Ils ne connaissent pas trop ce dont il s’agit, sinon ces questions ne se poseraient pas. Accueillir le contenu, le penser pleinement, et le ressentir pleinement : voilà tout le travail ! Je parle bien sûr de tout ce que l'on peut faire ensemble dans un groupe, et pas de tout le reste qui est l'affaire de chacun, individuellement.
ADB : Ceci est vrai d’ailleurs pour tout type de cycle, tout type de contenu communiqué par Rudolf Steiner, indépendamment du cas spécifique de la Classe.
PA : Oui, tout à fait. (… Ici une question a été posée portant sur le fait que Rudolf Steiner a permis à certaines personnes de donner la classe ; toutefois, il semblerait que seuls les mantras devaient être exprimés tels quels, et pas l’intégralité du contenu des classes données par Rudolf Steiner lui-même.
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L’enregistrement audio du dialogue entre ces deux anthroposophes a malheureusement été interrompu, et nous ne sommes pas en mesure de poursuivre sa retranscription ici).
Notes
[1] Steiner, Rudolf - « Éveil au contact du moi d’autrui » - 1987 – Éditions anthroposophiques romandes - (GA257)
[2] [3] Ici il est fait allusion aux « douze sens » tels que mentionnés par Rudolf Steiner. Voir notamment : Soesman, Albert – 1998 – « Les douzes sens » – Éditions Triades
[4] Ibid.
[5] Ce mot n’existe bien sûr pas dans la langue française. Ce néologisme est à comprendre ici comme étant « l’acte de produire une intuition » ; le mot « intuition » étant à entendre dans le sens où Rudolf Steiner le caractérise dans sa « Philosophie de la Liberté » (voir note 8 pour les références). Il ne s’agit nullement d’une vague impression ou pressentiment, mais « À l’opposé du contenu de la perception, qui nous est donné de l’extérieur, le contenu pensé apparaît à l’intérieur. Nous désignerons du nom d’intuition la forme sous laquelle il apparaît de prime abord. L’intuition est pour le penser ce que l’observation est pour la perception » (chapitre 5 de la Philosophie de la Liberté). Ou encore : « l’intuition est l’expérience consciente, se déroulant dans l’élément purement spirituel, d’un contenu purement spirituel. L’entité du penser ne peut être saisie que par une intuition. » (chapitre 9 de la Philosophie de la Liberté).
[6] Pour plus d’explication relative à ce phénomène, voir notamment à la page 253 de la « Philosophie de la Liberté » aux éditions Novalis (voir note 8) ainsi que le cycle de conférences « Les exigences sociales fondamentales de notre temps » - 1997 – Éditions Dervy (conférence du 12 décembre 1918). [7] Steiner, Rudolf – 2002 – « Goethe, le Galilée de la science du vivant » – Éditions Novalis. [8] Steiner, Rudolf – 2012 – « La Philosophie de la Liberté. Traits fondamentaux d'une vision moderne du monde. Résultats de l'observation de l'âme selon la méthode scientifique. » - Éditions Novalis
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